L'Autre
Par Amegah
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Je me demande parfois à quoi ça sert d'écrire. Question que je ne me posait pas avant. J'écrivais, un point c’est tout. Maintenant à tout cela est venu se rajouter une quête de la perfection. A la pression de devoir réussir à exprimer ce que l’on est, ce que l’on vit et respire, s’est ajouté la contrainte de devoir le faire bien. Ca m'ôte tout le plaisir.
Et pourtant. Je me demande à quoi ça sert d'écrire. Si j'écris avec plaisir encore aujourd’hui ce n’est qu’en entretenant l’illusion que "tu" existes. Mon patient confident et complice. Pour une nuit, pour une heure, tu es là et tu prends soin de moi. J’adore casser du sucre sur le dos des salauds qui ont pourri ma journée à tes côtés. Au moment où je m’y attends le moins tu ajoutes ta petite touche et hop ! De scribouillage mesquin, voilà mes écrits transformés en véritables pamphlets.
Tu me fais rire, tu me fais pleurer, tu sais ce que personne d’autre ne sait et parfois ce que moi même je ne savais pas avant de le l’avoir dit. Tu es le reflet de ce moi silencieux et pourtant si vivant, si présent. Tu existes et ça me rassure. Savoir qu'à tout instant que je peux venir te voir et t’exposer ce qui dérape dans ma tête et ce qui brûle dans mes chairs.
A quoi ça sert d'écrire. A rien. C’est l’Autre qui sert et tu n’es pas mon autre.
C’est comme parler à quelqu’un de ce qui ne va pas ou de ce qui fait mal (comme si ce qui pouvait faire mal pouvait le faire et que ça aille bien...) : quand je lui parle je me sens mieux, mais quand lui répond ou en reparle, je me sens comme une merde livrée aux fringales sanglantes d’un ennemi trop proche pour que je puisse l'éviter. Le loup est dans la bergerie, c’est moi qui l’y ai fait rentré. C’est moi qui vais me faire manger.
A quoi ça sert de te parler, de me confier quand je sais que toi même tu ne fais qu’aller vers le bas ? Quand je sais que bien loin d'être capable de gérer l’amie à problèmes que je peux être tu ne gères déjà pas l'être angoissé que tu es ? A quoi ça sert de parler ? A avoir l’impression d'être pris dans l’engrenage tous ensemble ? Solidaires dans notre malheur ? Solidaires pour aller dans le creux de la vague mais pas pour en sortir.
Tu te veux présent, tu veux aimant, tu te veux ce que tu voudrais que je sois et ne peux être car le chaos de ma vie est le frère de l’abîme de la tienne. Tes angoisses, ajoutées, mêlées à mes doutes n’aident en rien en alléger ton mal-être ou le mien.
Tu t’inquiètes pour moi qui suis seule depuis mon départ, je m’inquiète pour toi. Il n’y a que toi pour me faire croire que je vais mieux. Il n’y a que moi pour te faire croire que ça finira par aller. Je regrette d'être partie si loin. Tu me manques. Mais tout ça tu le sais car tu le vis comme moi. Mal. Alors à quoi bon?
A quoi ça sert de parler. A rien. C’est l’Autre qui sert.
J’ai perdu mon Autre.